Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 2), 1883.djvu/430

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 426 —

manque. Au milieu de cette façon sévère et triste de passer les longues heures de chaque journée, une idée s’est présentée, qui fait mon tourment et que je combats en vain depuis six mois : mon fils ne m’aimera point ; il ne m’entend jamais nommer. Élevé au milieu du luxe aimable du palais Crescenzi, à peine s’il me connaît. Le petit nombre de fois que je le vois, je songe à sa mère, dont il me rappelle la beauté céleste et que je ne puis regarder, et il doit me trouver une figure sérieuse, ce qui, pour les enfants, veut dire triste.

— Eh bien ! dit la marquise, où tend tout ce discours qui m’effraie ?

— À ravoir mon fils ; je veux qu’il habite avec moi ; je veux le voir tous les jours, je veux qu’il s’accoutume à m’aimer ; je veux l’aimer moi-même à loisir. Puisqu’une fatalité unique au monde veut que je sois privé de ce bonheur dont jouissent tant d’âmes tendres, et que je ne passe pas ma vie avec tout ce que j’adore, je veux du moins avoir auprès de moi un être qui te rappelle à mon cœur, qui te remplace en quelque sorte. Les affaires et les hommes me sont à charge dans ma solitude forcée ; tu sais que l’ambition a toujours été un mot vide pour moi, depuis l’instant où j’eus le bonheur d’être écroué par Barbone, et tout ce qui n’est pas sensation de l’âme me semble ridicule dans la mélancolie qui loin de toi m’accable.

On peut comprendre la vive douleur dont le