Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 2), 1883.djvu/69

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part ! Cet état dura longtemps ; la pauvre femme avait horreur de revenir à la contemplation de l’affreuse réalité. Enfin, comme l’aube du jour commençait à marquer d’une ligne blanche le sommet des arbres de son jardin, elle se fit violence. Dans quelques heures, se dit-elle, je serai sur le champ de bataille ; il sera question d’agir, et s’il m’arrive quelque chose d’irritant, si le prince s’avise de m’adresser quelque mot relatif à Fabrice, je ne suis pas assurée de pouvoir garder tout mon sang-froid, il faut donc ici et sans délai prendre des résolutions.

Si je suis déclarée criminelle d’État, Rassi fait saisir tout ce qui se trouve dans ce palais ; le premier de ce mois, le comte et moi nous avons brûlé, suivant l’usage, tous les papiers dont la police pourrait abuser, et il est le ministre de la police, voilà le plaisant. J’ai trois diamants de quelque prix : demain, Fulgence, mon ancien batelier de Grianta, partira pour Genève où il les mettra en sûreté. Si jamais Fabrice s’échappe (grand Dieu ! soyez-moi propice ! et elle fit un signe de croix), l’incommensurable lâcheté du marquis del Dongo trouvera qu’il y a du péché à envoyer du pain à un homme poursuivi par un prince légitime, alors il trouvera du moins mes diamants, il aura du pain.

Renvoyer le comte… me trouver seule avec lui, après ce qui vient d’arriver, c’est ce qui m’est