Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 2), 1883.djvu/72

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Mais si le comte, que ma résolution va mettre au désespoir, se vengeait ?… Voilà, par exemple, une idée qui ne lui viendra jamais ; il n’a point l’âme foncièrement basse du prince : le comte peut, en gémissant, contre-signer un décret infâme, mais il a de l’honneur. Et puis, de quoi se venger ? de ce que, après l’avoir aimé cinq ans, sans faire la moindre offense à son amour, je lui dis : Cher comte ! j’avais le bonheur de vous aimer : eh bien, cette flamme s’éteint ; je ne vous aime plus ! mais je connais le fond de votre cœur, je garde pour vous une estime profonde, et vous serez toujours le meilleur de mes amis.

Que peut répondre un galant homme à une déclaration aussi sincère ?

Je prendrai un nouvel amant, du moins on le croira dans le monde. Je dirai à cet amant : Au fond le prince a raison de punir l’étourderie de Fabrice ; mais le jour de sa fête, sans doute notre gracieux souverain lui rendra la liberté. Ainsi je gagne six mois. Le nouvel amant désigné par la prudence serait ce juge vendu, cet infâme bourreau, ce Rassi… il se trouverait anobli, et dans le fait, je lui donnerais l’entrée de la bonne compagnie. Pardonne, cher Fabrice ! un tel effort est pour moi au delà du possible. Quoi ! ce monstre, encore tout couvert du sang du comte P. et de D. ! il me ferait évanouir d’horreur en s’approchant de moi, ou plutôt je saisirais un couteau et le plon-