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prince, dans sa clémence infinie, considérant qu’autrefois j’ai eu l’honneur d’être admise à sa cour, commuera ma peine en dix ans de forteresse. Mais moi, pour ne point déchoir de ce caractère violent qui a fait dire tant de sottises à la marquise Raversi et à mes autres ennemis, je m’empoisonnerai bravement. Du moins le public aura la bonté de le croire ; mais je gage que le Rassi paraîtra dans mon cachot pour m’apporter galamment, de la part du prince, un petit flacon de strychnine ou de l’opium de Pérouse.

Oui, il faut me brouiller très ostensiblement avec le comte, car je ne veux pas l’entraîner dans ma perte, ce serait une infamie ; le pauvre homme m’a aimée avec tant de candeur ! Ma sottise a été de croire qu’il restait assez d’âme dans un courtisan véritable pour être capable d’amour. Très probablement le prince trouvera quelque prétexte pour me jeter en prison ; il craindra que je ne pervertisse l’opinion publique relativement à Fabrice. Le comte est plein d’honneur ; à l’instant il fera ce que les cuistres de cette cour, dans leur étonnement profond, appelleront une folie : il quittera la cour. J’ai bravé l’autorité du prince le soir du billet, je puis m’attendre à tout de la part de sa vanité blessée : un homme né prince oublie-t-il jamais la sensation que je lui ai donnée ce soir-là ? D’ailleurs le comte brouillé avec moi est en meilleure position pour être utile à Fabrice.