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malheur, je ne puis plus aimer. Je ne vois plus en vous, cher comte, que l’ombre de quelqu’un qui me fut cher. Je dirai plus, c’est la reconnaissance toute seule qui me fait vous tenir ce langage.

— Que vais-je devenir, lui répétait le comte, moi qui sens que je vous suis attaché avec plus de passion que les premiers jours, quand je vous voyais à la Scala !

— Vous avouerai-je une chose, cher ami, parler d’amour m’ennuie, et me semble indécent. Allons, dit-elle en essayant de sourire, mais en vain, courage ! soyez homme d’esprit, homme judicieux, homme à ressources dans les occurrences. Soyez avec moi ce que vous êtes réellement aux yeux des indifférents, l’homme le plus habile et le plus grand politique que l’Italie ait produit depuis des siècles.

Le comte se leva et se promena en silence pendant quelques instants.

— Impossible, chère amie, lui dit-il enfin : je suis en proie aux déchirements de la passion la plus violente, et vous me demandez d’interroger ma raison ! Il n’y a plus de raison pour moi.

— Ne parlons pas de passion, je vous prie, dit-elle d’un ton sec ; et ce fut pour la première fois, après deux heures d’entretien, que sa voix prit une expression quelconque. Le comte, au désespoir lui-même, chercha à la consoler.