Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 2), 1883.djvu/79

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tement comme ferait une sœur ; je l’aime d’instinct, pour parler ainsi. J’aime en lui son courage si simple et si parfait que l’on peut dire qu’il ne s’en aperçoit pas lui-même ; je me souviens que ce genre d’admiration commença à son retour de Waterloo. Il était encore enfant, malgré ses dix-sept ans ; sa grande inquiétude était de savoir si réellement il avait assisté à la bataille, et dans le cas du oui, s’il pouvait dire s’être battu, lui qui n’avait marché à l’attaque d’aucune batterie ni d’aucune colonne ennemie. Ce fut pendant les graves discussions que nous avions ensemble sur ce sujet important, que je commençai à voir en lui une grâce parfaite. Sa grande âme se révélait à moi ; que de savants mensonges eût étalés, à sa place, un jeune homme bien élevé ! Enfin, s’il n’est heureux je ne puis être heureuse. Tenez, voilà un mot qui peint bien l’état de mon cœur ; si ce n’est la vérité c’est au moins tout ce que j’en vois. Le comte, encouragé par ce ton de franchise et d’intimité, voulut lui baiser la main : elle la retira avec une sorte d’horreur. Les temps sont finis, lui dit-elle ; je suis une femme de trente-sept ans, je me trouve à la porte de la vieillesse, j’en ressens déjà tous les découragements, et peut-être même suis-je voisine de la tombe. Ce moment est terrible, à ce qu’on dit, et pourtant il me semble que je le désire. J’éprouve le pire symptôme de la vieillesse : mon cœur est éteint par cet affreux