Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 2), 1883.djvu/86

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propos, puisque je me moque de mon portefeuille, je puis me permettre cent actions qui, ce matin encore, m’eussent semblé hors du possible. Par exemple, je vais tenter tout ce qui est humainement faisable pour faire évader Fabrice… Grand Dieu ! s’écria le comte en s’interrompant et ses yeux s’ouvrant à l’excès comme à la vue d’un bonheur imprévu, la duchesse ne m’a pas parlé d’évasion : aurait-elle manqué de sincérité une fois en sa vie, et la brouille ne serait-elle que le désir que je trahisse le prince ? Ma foi, c’est fait !

L’œil du comte avait repris toute sa finesse satirique. Cet aimable fiscal Rassi est payé par le maître pour toutes les sentences qui nous déshonorent en Europe, mais il n’est pas homme à refuser d’être payé par moi pour trahir les secrets du maître. Cet animal-là a une maîtresse et un confesseur, mais la maîtresse est d’une trop vile espèce pour que je puisse lui parler, le lendemain elle raconterait l’entrevue à toutes les fruitières du voisinage. Le comte, ressuscité par cette lueur d’espoir, était déjà sur le chemin de la cathédrale ; étonné de la légèreté de sa démarche, il sourit malgré son chagrin : Ce que c’est, dit-il, que de n’être plus ministre ! Cette cathédrale, comme beaucoup d’églises en Italie, sert de passage d’une rue à l’autre ; le comte vit de loin un des grands-vicaires de l’archevêque qui traversait la nef.