Page:Stendhal - La chartreuse de Parme (Tome 2), 1883.djvu/99

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 95 —

monde ; elle avait paru la veille au soir dans toutes les maisons qui recevaient. Que fût-il devenu s’il se fût rencontré avec elle dans le même salon ? Comment lui parler ? de quel ton lui adresser la parole ? et comment ne pas lui parler ?

Le lendemain fut un jour funèbre ; le bruit se répandait généralement que Fabrice allait être mis à mort, la ville fut émue. On ajoutait que le prince, ayant égard à sa haute naissance, avait daigné décider qu’il aurait la tête tranchée.

— C’est moi qui le tue, se dit le comte ; je ne puis plus prétendre à revoir jamais la duchesse. Malgré ce raisonnement assez simple, il ne put s’empêcher de passer trois fois à sa porte ; à la vérité, pour n’être pas remarqué, il alla chez elle à pied. Dans son désespoir, il eut même le courage de lui écrire. Il avait fait appeler Rassi deux fois ; le fiscal ne s’était point présenté. Le coquin me trahit, se dit le comte.

Le lendemain, trois grandes nouvelles agitaient la haute société de Parme, et même la bourgeoisie. La mise à mort de Fabrice était plus que jamais certaine ; et, complément bien étrange de cette nouvelle, la duchesse ne paraissait point trop au désespoir. Selon les apparences, elle n’accordait que des regrets assez modérés à son jeune amant ; toutefois elle profitait avec un art infini de la pâleur que venait de lui donner une indisposition assez grave, qui était survenue en même temps