Page:Stendhal - Lamiel, 1928, éd. Martineau.djvu/102

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elle avait oublié d’apporter ses livres ; et lorsqu’elle allait en voiture passer de courts instants chez ses parents, elle n’était pas laissée seule un seul instant et ne pouvait aller à sa cachette.

Lamiel n’avait presque plus l’envie de se promener ; elle était si malheureuse que sa petite vanité, quoique fort éveillée, ne s’apercevait pas même de son succès auprès de la duchesse ; il était immense. Ce qui surtout faisait la conquête de la grande dame, c’est que Lamiel n’avait point l’air d’une demoiselle.

Il faut savoir que celui des désastreux effets de la révolution auquel Mme de Miossens était le plus sensible, c’étaient ces airs de décence et de réserve que se donnent des filles de gens du peuple qui ont gagné quelque argent. Lamiel avait trop de vivacité et d’énergie pour marcher lentement et les yeux baissés, ou du moins ramenés en soi, pour ne laisser échapper qu’un regard insignifiant sur le magnifique tapis de salon de la duchesse. Les avis charitables des femmes de chambre l’avaient amenée à une singulière allure, elle marchait lentement, il est vrai, mais elle avait l’air d’une gazelle enchaînée ; mille petits mouvements pleins de vivacité trahissaient les habitudes campagnardes. Jamais elle n’avait pu prendre cette démarche de