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le rouge et le noir

à Mathilde une lettre assez compromettante qu’elle lui avait écrite la veille. Il croyait par cette marque de haute prudence avancer beaucoup ses affaires. Mais c’était l’imprudence que Mathilde aimait dans ses correspondances. Son plaisir était de jouer son sort. Elle ne lui adressa pas la parole de six semaines.

Elle s’amusait des lettres de ces jeunes gens ; mais suivant elle, toutes se ressemblaient. C’était toujours la passion la plus profonde, la plus mélancolique.

— Ils sont tous le même homme parfait, prêt à partir pour la Palestine, disait-elle à sa cousine. Connaissez-vous quelque chose de plus insipide ? Voilà donc les lettres que je vais recevoir toute la vie ! Ces lettres-là ne doivent changer que tous les vingt ans, suivant le genre d’occupation qui est à la mode. Elles devaient être moins décolorées du temps de l’Empire. Alors tous ces jeunes gens du grand monde avaient vu ou fait des actions qui réellement avaient de la grandeur. Le duc de N***, mon oncle, a été à Wagram.

— Quel esprit faut-il pour donner un coup de sabre ? Et quand cela leur est arrivé, ils en parlent si souvent ! dit mademoiselle de Sainte-Hérédité, la cousine de Mathilde.

— Eh bien ! ces récits me font plaisir.