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plaisanteries

que vous restera-t-il si je veux vous pousser à bout, si j’ai la malice de donner pour père à Julien un duc espagnol, prisonnier de guerre à Besançon du temps de Napoléon, et qui, par scrupule de conscience, le reconnaît à son lit de mort ?

Toutes ces suppositions de naissance non légitime furent trouvées d’assez mauvais goût par MM. de Caylus et de Croisenois. Voilà tout ce qu’ils virent dans le raisonnement de Mathilde.

Quelque dominé que fût Norbert, les paroles de sa sœur étaient si claires, qu’il prit un air grave qui allait assez mal, il faut l’avouer, à sa physionomie souriante et bonne. Il osa dire quelques mots.

— Êtes-vous malade, mon ami ? lui répondit Mathilde d’un petit air sérieux. Il faut que vous soyez bien mal pour répondre à des plaisanteries par de la morale.

De la morale, vous ! est-ce que vous sollicitez une place de préfet ?

Mathilde oublia bien vite l’air piqué du comte de Caylus, l’humeur de Norbert et le désespoir silencieux de M. de Croisenois. Elle avait à prendre un parti sur une idée fatale qui venait de saisir son âme.

Julien est assez sincère avec moi, se dit-elle ; à son âge, dans une fortune inférieure, malheureux comme il l’est par