Page:Stendhal - Le Rouge et le Noir, II, 1927, éd. Martineau.djvu/251

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
250
le rouge et le noir

sentait moins son malheur. Eh bien ! elle ne m’aime plus, se répétait-il en se parlant tout haut comme pour s’apprendre sa position. Il paraît qu’elle m’a aimé huit ou dix jours, et moi je l’aimerai toute la vie.

Est-il bien possible, elle n’était rien ! rien pour mon cœur, il y a si peu de jours !

Les jouissances d’orgueil inondaient le cœur de Mathilde ; elle avait donc pu rompre à tout jamais ! Triompher si complètement d’un penchant si puissant la rendrait parfaitement heureuse. Ainsi ce petit monsieur comprendra, et une fois pour toutes, qu’il n’a et n’aura jamais aucun empire sur moi. Elle était si heureuse, que réellement elle n’avait plus d’amour en ce moment.

Après une scène aussi atroce, aussi humiliante, chez un être moins passionné que Julien, l’amour fût devenu impossible. Sans s’écarter un seul instant de ce qu’elle se devait à elle-même, mademoiselle de La Mole lui avait adressé de ces choses désagréables, tellement bien calculées, qu’elles peuvent paraître une vérité, même quand on s’en souvient de sang-froid.

La conclusion que Julien tira dans le premier moment d’une scène si étonnante fut que Mathilde avait un orgueil infini. Il croyait fermement que tout était fini à tout jamais entre eux, et cependant le