Page:Stendhal - Lucien Leuwen, I, 1929, éd. Martineau.djvu/161

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inspira mademoiselle Sylviane, la beauté de Nancy, et en sortant de chez elle la petite ville lui sembla plus maussade encore. Il suivait, tout pensif, ses trois caisses de spiritueux, comme disait mademoiselle Sylviane. « Il ne s’agit plus, se dit-il, que de trouver un prétexte honnête pour en faire porter une ou deux chez le [lieutenant-]colonel Filloteau. »

La soirée fut terrible pour ce jeune homme, qui commençait la plus brillante carrière du monde et la plus gaie. Son domestique Aubry était depuis nombre d’années dans la maison de son père ; cet homme voulut faire le pédant et donner des avis. Lucien lui dit qu’il partirait pour Paris le lendemain matin, et le chargea de porter à sa mère une caisse de fruits confits.

Après cette expédition, Lucien sortit. Le temps était couvert, et il faisait un petit vent du nord froid et perçant. Notre sous-lieutenant avait son grand uniforme ; il le fallait bien, étant d’inspection à la caserne ; et d’ailleurs il avait appris, parmi tant de devoirs à remplir, qu’il ne fallait pas songer à se permettre une redingote bourgeoise sans une permission spéciale du colonel. Sa ressource fut de se promener à pied dans les rues sales de cette ville forte et de s’entendre crier Qui vive ?