Page:Stendhal - Lucien Leuwen, I, 1929, éd. Martineau.djvu/17

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il conçoit tout à coup avec clarté les grandes lignes de l’œuvre à entreprendre et décide non plus d’être le professeur qui corrige un devoir, mais de faire lui-même un livre (make un opus). Il en agence aussitôt les principales scènes et jette sur le papier un plan sommaire qui commence au retour de son héros à Paris. Beyle avait donc tout au plus emprunté à madame Jules Gaulthier les premiers chapitres de son récit, c’est-à-dire l’épisode de Nancy. Encore celui-ci ne faisait-il que développer un projet de roman déjà indiqué par Beyle lui-même, en 1825, dans la seconde partie de son Racine et Shakspeare[1] :

« C’est ainsi qu’un jeune homme à qui le ciel a donné quelque délicatesse d’âme si le hasard le fait sous-lieutenant et le jette à sa garnison, dans la société de certaines femmes, croit de bonne foi en voyant les succès de ses camarades et le genre de leurs plaisirs, être insensible à l’amour. Un jour enfin le hasard le présente à une femme simple, naturelle, honnête, digne d’être aimée, et il sent qu’il a un cœur[2]. »

Impossible de mieux résumer en quelques mots le début de Lucien Leuwen.

  1. Ce rapprochement a été fait par M. H. Debraye dans l’avant propos de sa très précieuse édition de Lucien Leuwen, chez Champion.
  2. Racine et Shakspeare, édition du Divan, page 112.