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leuse en province. Les samedis, qui étaient son petit jour, son salon réunissait ce qu’il y avait de plus noble et de plus riche à Nancy et à trois lieues à la ronde. Tout cela n’allait pas sans un peu d’envie de la part des autres dames nobles, mais elle était si bonne, et les dames rivales voyaient si clairement que, si elle eût suivi son penchant, elle eût habité la campagne tête à tête avec son amie madame de Constantin, que tout ce luxe ne faisant pas son bonheur, n’excitait pas trop d’envie. C’est une belle exception en province.

Madame de Chasteller n’était réellement haïe que des jeunes républicains, qui sentaient trop que jamais il ne leur serait donné de lui adresser la parole[1].]

Madame de Chasteller savait se présenter d’une façon convenable, et même avec grâce, dans le grand salon des Tuileries, saluer le roi et les princesses, faire la cour aux grandes dames ; mais au-delà de ces choses essentielles, elle n’avait aucune expérience de la vie. Aussitôt qu’elle se sentait émue, sa tête se perdait, et elle n’avait d’autre prudence, dans ces cas extrêmes, que de ne rien dire et de rester immobile.

  1. Ce caractère de madame de Chasteller, placé ici entre crochets, provient d’une ébauche conservée dans le dossier R. 288 des manuscrits de Stendhal. N. D. L. É.