Page:Stendhal - Lucien Leuwen, I, 1929, éd. Martineau.djvu/393

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Ce cœur si jeune encore était étourdi des grands intérêts qu’il venait de manier comme si c’eussent été des vétilles ; il ne distinguait rien. Pendant tout le temps du combat, il ne s’était pas permis de réfléchir de peur de laisser se perdre l’occasion d’agir. Maintenant, il voyait en gros qu’il venait de se passer des choses de la plus haute importance. Il n’osait se livrer aux apparences de bonheur qu’il entrevoyait confusément, et frémissait de découvrir tout à coup, à l’examen, quelque mot, quelque fait, qui le séparât à jamais de madame de Chasteller. Pour les remords de l’aimer, il n’en était plus question en ce moment.

M. Du Poirier, qui, en homme vraiment habile, ne négligeait point les petits intérêts tout en s’occupant sérieusement des grands, craignit que quelque jeune médecin beau danseur ne s’emparât de l’accident arrivé à madame de Chasteller. Il parut bientôt dans la charmille auprès de la table de marbre qui protégeait encore un peu madame de Chasteller contre le zèle de ses bonnes amies. Les yeux fermés, la tête appuyée sur ses mains, immobile et silencieuse, environnée de vingt bougies entassées par la curiosité, madame de Chasteller servait de centre d’attaque à un cercle de douze ou quinze femmes parlant