Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/104

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’elle vint poser sur la table placée entre Leuwen et elle.

Comme elle ouvrait le pupitre, en se penchant avec une petite clef attachée à la chaîne de sa montre, Leuwen se baissa un peu sur la table et lui baisa la main.

Madame de Chasteller releva la tête : ce n’était plus la même femme.

« Il eût pu tout aussi bien me baiser le front », pensa-t-elle. La pudeur blessée la mit hors d’elle-même.

— Je ne pourrai donc jamais avoir la moindre confiance en vous ? Et ses yeux exprimaient la plus vive colère. « Quoi ! je veux bien vous recevoir, quand j’aurais dû fermer ma porte pour vous, comme pour tout le monde ; je vous admets à une intimité dangereuse pour ma réputation et dont vous auriez dû respecter les lois (ici sa physionomie comme sa voix prirent l’air le plus altier) ; je vous traite en frère, je vous engage à lire un moment, pendant que j’écris une lettre indispensable, et sans à-propos, sans grâce, vous profitez de mon peu de défiance pour vous permettre un geste aussi humiliant, à le bien prendre, pour vous que pour moi ! Allez, monsieur, je me suis trompée en vous recevant chez moi.

Il y avait dans le son de sa voix et dans son air toute la froideur et toute la réso-