Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/158

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Mais Leuwen ne se départit point d’une fatuité digne de sa patrie ; pendant toute la fin de cette soirée, il ne daigna pas dire trois mots de suite ; ce fut là tout le spectacle qu’il présenta à madame d’Hocquincourt. Elle en fut étonnée au dernier point et à la fin ravie.

« Quel être étonnant, et à vingt-trois ans ! pensait-elle. Quelle différence avec les autres ! »

L’autre partie du duetto pensé par Leuwen était celle-ci : « On ne saurait être trop chargé avec ces hobereaux-ci. C’est pour le coup qu’il faut frapper fort. »

La bêtise des raisonnements qu’il entendait faire sur le camp de Lunéville, d’où devait sortir évidemment la chute du roi, ne le piquait nullement à cause de l’habit qu’il portait, mais deux ou trois fois elle lui arracha, sur le ton d’une prière éjaculatrice :

« Grand Dieu ! dans quelle plate compagnie le hasard m’a-t-il jeté ! Que ces gens sont bêtes, et s’ils en avaient l’esprit, peut-être encore plus méchants ! Comment faire pour être plus sot et plus mesquinement bourgeois ? Quel attachement farouche au plus petit intérêt d’argent ! Et ce sont là les descendants des vainqueurs de Charles le Téméraire ! »

Telles étaient ses pensées en buvant