Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/159

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec gravité les verres de vin de Champagne que madame d’Hocquincourt lui versait avec ravissement.

« Est-ce que je ne pourrai donc pas lui faire quitter cet air hautain ? » pensait-elle.

Et Leuwen ajoutait tout bas :

« Les domestiques de ces gens-ci, après deux ans de guerre dans un régiment commandé par un colonel juste, vaudraient cent fois mieux que leurs maîtres. On trouverait chez ces domestiques un dévouement sincère à quelque chose. Et pour comble de ridicule, ces gens-ci parlent sans cesse de dévouement, c’est-à-dire justement de la chose au monde dont ils sont le plus incapables. »

Ces pensées égoïstes, philosophiques, politiques, très fausses peut-être, étaient la seule ressource de Leuwen quand madame de Chasteller le rendait malheureux. Ce qui faisait de Leuwen un sous-lieutenant philosophique, c’est-à-dire triste et assez plat sous l’effet d’un vin de Champagne admirablement frappé, comme c’était la mode alors, c’était une idée fatale qui commençait à poindre dans son esprit.

« Après ce que j’ai osé dire à madame de Chasteller, après ce mot de mon ange, d’une familiarité si crue (en vérité, quand je lui parle je n’ai pas le sens commun, je