Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/162

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les gens qui mènent joyeuse vie. Ils sont heureux, et par là moins méchants. L’âme de l’homme est comme un marais infect : si l’on ne passe vite, on enfonce. »

Un mot de madame de Chasteller eût changé ces idées philosophiques en extases de bonheur. L’homme malheureux cherche à se fortifier par la philosophie, mais pour premier effet elle l’empoisonne jusqu’à un certain degré en lui faisant voir le bonheur impossible.

Le lendemain matin, le régiment eut beaucoup d’affaires : il fallait préparer le livret de chaque lancier pour l’inspection qui devait avoir lieu avant le départ pour le camp de Lunéville ; on devait inspecter leur habillement pièce par pièce.

— Ne dirait-on pas, se disaient les vieilles moustaches, que nous allons passer la revue de Napoléon ?

— C’est plus qu’il n’en faut, disaient les jeunes sous-officiers, pour la guerre de pots de chambre et de pommes cuites à laquelle nous sommes appelés. Quel dégoût ! Mais si jamais il y a guerre, il faut se trouver ici, et savoir le métier.

Après le travail d’inspection dans les chambres de la caserne, le colonel donna une heure pour la soupe, fit sonner à cheval, et tint le régiment quatre heures à la manœuvre. Leuwen porta dans ces di-