Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/163

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verses occupations un sentiment de bienveillance pour les soldats ; il se sentait une tendre pitié des faibles, et, au bout de quelques heures, il n’était plus qu’amant passionné. Il avait oublié madame d’Hocquincourt ou, s’il s’en souvenait, ce n’était que comme un pis-aller qui sauverait sa gloire, mais en l’accablant d’ennui. Son affaire sérieuse, à laquelle il revenait dès que le mouvement actuel ne s’emparait pas de force de toute son attention, c’était ce problème : « Comment madame de Chasteller me recevra-t-elle ce soir ? »

Dès que Leuwen fut seul, son incertitude à cet égard alla jusqu’à l’anxiété. Après la pension, il tira sa montre en montant à cheval.

« Il est cinq heures ; je serai de retour ici à sept heures et demie, et à huit mon sort sera décidé. Cette façon de parler : mon ange, est peut-être de mauvais goût avec tout le monde. Envers une femme légère, comme madame d’Hocquincourt, elle pourrait passer ; un mot galant et vif sur sa beauté l’excuserait. Mais avec madame de Chasteller ! Par quelle imprudence ce mot si cru a-t-il été mérité par cette femme sérieuse, raisonnable, sage ?… Oui, sage. Car enfin, je n’ai pas vu son intrigue avec le lieutenant-colonel