Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/165

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à l’esprit près n’ont pas un ton différent du sien. La moitié des idées de madame de Chasteller leur sont invisibles, voilà tout, et ces idées ne peuvent s’exprimer qu’avec un langage un peu philosophique, et qui, par là, a l’air moins retenu. Même, je puis dire à ces demoiselles bien des choses dont madame de Chasteller conçoit la portée et qu’elle ne souffre pas. En un mot, de tous ces gens d’hier soir, à peine croirais-je leur témoignage, quand il s’agirait d’un fait matériel. Je n’ai contre madame de Chasteller de témoignage explicite que celui du maître de poste Bouchard. J’ai eu tort de ne pas cultiver cet homme ; quoi de plus simple que de prendre des chevaux chez lui, et d’aller les choisir dans son écurie ? C’est lui qui m’a donné mon marchand de foin, mon maréchal, ses gens me voient d’un bon œil. Je suis un nigaud. »

Leuwen ne s’avouait pas que la personne de Bouchard lui faisait horreur : c’était le seul homme qui eût parlé ouvertement mal de madame de Chasteller. Les demi-mots qu’il avait surpris un jour chez madame de Serpierre étaient fort indirects. Sa hauteur, à laquelle personne, dans Nancy, se fût bien gardé d’assigner une autre cause que les quinze ou vingt mille francs de rente que son mari lui