Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/166

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avait laissés en mourant, n’était que l’impression de l’impatience que lui causaient les compliments un peu trop directs dont cette fortune la rendait l’objet.

Tout en faisant ces tristes raisonnements, Leuwen maintenait son cheval au grand trot. Il entendit sonner six heures et demie à l’horloge d’un petit village à mi-chemin de Darney.

« Il faut retourner, pensa-t-il, et dans une heure et demie mon sort sera décidé. »

Tout à coup, au lieu de tourner la tête de son cheval, il le poussa au galop. Il ne cessa de galoper qu’à Darney, cette petite ville où autrefois il était allé chercher une lettre de madame de Chasteller. Il tira sa montre, il était huit heures.

« Impossible de voir ce soir madame de Chasteller », se dit-il en respirant plus librement. C’était un malheureux condamné qui vient d’obtenir [un] sursis.

Le lendemain soir, après la journée la plus occupée de sa vie et pendant laquelle il avait changé deux ou trois fois de projets, Leuwen fut cependant forcé de se présenter chez madame de Chasteller. Elle le reçut avec ce qui lui sembla une froideur extrême : c’était de la colère contre soi-même, et de la gêne avec Leuwen.