Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/175

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blait ses baisers. À la fin, madame de Chasteller s’éloigna doucement, mais ses yeux baignés de larmes montraient franchement la plus vive tendresse. Elle parvint à lui dire pourtant :

— Adieu, monsieur…

Et comme il la regardait, éperdu, elle se reprit :

— Adieu, mon ami, à demain… Mais laissez-moi.

Et il la laissa, et il descendit l’escalier en se retournant, il est vrai, pour la regarder[1].

Leuwen descendit l’escalier dans un trouble inexprimable. Bientôt, il fut ivre de bonheur, ce qui l’empêcha de voir qu’il était bien jeune, bien sot.

Quinze jours ou trois semaines suivirent ; ce fut peut-être le plus beau moment de la vie de Leuwen, mais jamais il ne retrouva un tel instant d’abandon et de faiblesse. Vous savez qu’il était incapable de le faire naître à force d’en sentir le bonheur.

Il voyait madame de Chasteller tous les jours ; ses visites duraient quelquefois deux ou trois heures, au grand scandale de

  1. Sur quoi l’historien dit : on ne peut pas espérer d’une femme honnête qu’elle se donne absolument ; encore faut-il la prendre. For me. – Le meilleur chien de chasse ne peut que faire passer le gibier à portée de fusil du chasseur. Si celui-ci ne tire pas, le chien n’y peut mais. Le romancier est comme le chien de son héros.