Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/200

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depuis vingt minutes dans une situation pénible. Il voyait fort bien que tout le monde voulait se battre, lui seul n’avait point annoncé de prétention. Celle de Lanfort, être doux, aimable, élégant par excellence, le poussa à bout.

« Dans tous les cas, messieurs, dit-il enfin d’une voix contrainte et criarde, je me trouve le second sur la liste : c’est Roller et moi qui avons fait le projet dans la grande promenade, sous les jeunes tilleuls.

— Il a raison, dit M. de Goëllo ; tirons au sort à qui défera le pays de cette peste publique. (Et il se rengorgea, fier de la beauté de la phrase.)

— À la bonne heure, dit Lanfort ; mais, messieurs, qu’on ne se batte qu’une fois. Si M. Leuwen doit avoir affaire à quatre ou cinq d’entre nous, l’Aurore s’emparera de cette histoire, je vous en avertis, et vous vous verrez dans les journaux de Paris.

— Et s’il tue un de nos amis ? dit Sanréal. Faudra-t-il donc laisser le mort sans vengeance ? »

La discussion se prolongea jusqu’au dîner, que Sanréal avait fait préparer abondant et excellent. On se donna parole d’honneur en se quittant, à six heures, de ne parler de cette affaire à qui que ce