Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/225

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avait bien un mois ou deux. C’est ce que Leuwen ne remarqua pas. Il dit avec beaucoup de tranquillité apparente à Anne-Marie :

— Je me sens un peu indisposé. Je ne verrai madame de Chasteller que demain. Voulez-vous venir parler à la portière pendant que je sortirai ?

Anne-Marie le regardait avec des yeux extrêmement ouverts :

« Est-ce qu’il est d’accord, lui aussi ? » pensait-elle.

Heureusement pour le succès des projets du docteur, comme le geste de Leuwen la pressait fort, elle n’eut pas le temps de commettre une indiscrétion ; elle ne dit rien, alla déposer l’enfant sur un lit dans la chambre voisine, descendit chez la portière.

« Cette bourse si pesante, se disait-elle, est-elle remplie d’argent ou de jaunets ? »

Elle conduisit la portière au fond de sa loge, et Leuwen put sortir inaperçu.

Il courut chez lui et s’enferma à clef dans sa chambre. Ce ne fut qu’à ce moment qu’il se permit de considérer en plein tout son malheur. Il était trop amoureux pour être furieux, dans ce premier moment, contre madame de Chasteller.

« M’a-t-elle jamais dit qu’elle n’eût