Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/259

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tournais à Nancy et au régiment ? Si je lui demandais pardon du secret qu’elle m’a fait, ou plutôt si je ne lui parlais pas de ce que j’ai vu, ce qui est plus juste, pourquoi ne me recevrait-elle pas comme la veille de ce jour fatal ? En quoi puis-je être offensé raisonnablement, moi qui ne suis point son amant, de rencontrer la preuve qu’elle a eu un amant avant de me connaître ?

« Mais ma façon d’être avec elle serait-elle la même ! Tôt ou tard, elle saurait la vérité ; je ne pourrais m’empêcher de la lui dire si elle me la demandait et là, comme il m’est déjà arrivé plusieurs fois, l’absence de vanité me ferait mépriser comme un homme sans cœur. Serai-je tranquille avec le sentiment que si l’on me connaissait l’on me mépriserait, et surtout moi ne pouvant pas lui en faire confidence ? »

Cette grande question agitait le cœur de Leuwen, tandis que ses yeux s’arrêtaient avec une sorte d’attention machinale sur chacune des femmes qui remplissaient les loges à la mode. Il en reconnut plusieurs, elles lui semblèrent des comédiennes de campagne.

« Mais, grand Dieu ! je deviens fou à la lettre, se dit-il quand sa lorgnette fut arrivée au bout du rang des loges. J’appliquais absolument le même mot de