Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/260

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comédiennes de campagne aux femmes qui remplissaient le salon de mesdames de Puylaurens ou d’Hocquincourt. Un homme opprimé par une fièvre dangereuse peut trouver amère la saveur de l’eau sucrée ; l’essentiel est que personne ne s’aperçoive de ma folie. Je ne dois dire absolument que des choses communes, et jamais rien qui s’écarte le moins du monde de l’opinion reçue dans la société où je me trouverai. Le matin, une grande assiduité dans mon bureau, si j’ai un bureau, ou de longues promenades à cheval ; le soir, afficher une passion pour le spectacle, fort naturelle après huit mois d’exil en province. Dans les salons, quand je ne pourrai absolument éviter d’y paraître, un goût démesuré pour l’écarté. »

Les réflexions de Lucien furent interrompues par une obscurité soudaine : c’est qu’on éteignait les lampes ou becs de gaz de toutes parts.

« Bon, se dit-il avec un sourire amer, le spectacle m’intéresse tellement, que je suis le dernier à le quitter. »


[Dans le fait, il était moins malheureux. Dix fois par jour, la pensée de Nancy était remplacée par celle-ci : « À quel genre de besogne est-ce qu’ils vont me mettre ? » Il lisait tous les journaux avec un intérêt bien nouveau pour lui. Le seul