Page:Stendhal - Lucien Leuwen, II, 1929, éd. Martineau.djvu/331

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me guérir de ma distraction ; je tomberais dans quelque gaucherie qui s’attacherait à mon nom et me discréditerait à jamais… C’est une grande chose que de débuter. Etc., etc.

Mais comme une âme au désespoir n’a de forces pour rien, ce soir-là il se laissa entraîner dans la loge de M. Duvernoy, receveur général, et ensuite, une heure plus tard, dans le salon de M. Grandet, ancien fabricant fort riche et juste-milieu furibond. L’hôtel parut charmant à Lucien, le salon magnifique, mais M. Grandet lui-même d’un ridicule trop noir.

« C’est le Guizot moins l’esprit, pensa Lucien. Il tend au sang, ceci sort de mes conventions avec mon père. »

Le soir du dîner qui suivit la présentation de Lucien, M. Grandet exprima tout haut, devant trente personnes au moins, le désir que M. N…, de l’opposition, mourût d’une blessure qu’il venait de recevoir dans un duel célèbre.

La beauté célèbre de madame Grandet ne put faire oublier à Lucien le dégoût profond inspiré par son mari. C’était une femme de vingt-trois à vingt-quatre ans au plus ; il était impossible d’imaginer des traits plus réguliers, c’était [une] beauté délicate et parfaite, on eût dit une figure d’ivoire. Elle chantait fort bien,