Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/216

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faisait sa société habituelle de trente ou quarante députés nouvellement élus et les plus sots. L’incroyable, c’est qu’il ne les persifflait jamais. Un des diplomates amis de Leuwen eut des inquiétudes sérieuses : il n’est plus insolent envers les sots, il leur parle sérieusement, son caractère change, nous allons le perdre.

M. Leuwen allait assidûment chez M. de Vaize, les jours où le ministre recevait les députés. Trois ou quatre affaires de télégraphe se présentèrent, et il servit admirablement les intérêts du ministre.

« Enfin, je suis venu à bout de ce caractère de fer, disait M. de Vaize. Je l’ai maté, se disait-il en se frottant les mains, il ne fallait qu’oser. Je n’ai pas fait son fils lieutenant, et il est à mes pieds. »

Le résultat de ce beau raisonnement fut un petit air de supériorité pris par le ministre à l’égard de M. Leuwen qui n’échappa point à ce dernier et fit ses délices. Comme M. de Vaize ne faisait pas sa société de gens d’esprit, et pour cause, il ne sut point l’étonnement que causait le changement d’habitudes de M. Leuwen parmi ces hommes actifs et fins qui font leur fortune par le gouvernement régnant.

Ces gens d’esprit qui dînaient habituellement chez lui ne furent plus invités ; il leur donna un dîner ou deux chez le