Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/219

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quatre yeux y voient mieux que deux. Nous mettrons en délibération l’opinion qu’il faudra avoir demain ; si nous sommes vingt, comme je l’espère, et que onze se déclarent pour oui, il faut absolument que les neuf autres disent oui, quand même ils seraient passionnément attachés au non. C’est là le secret de notre force. Si jamais nous arrivons à réunir trente voix sûres sur tous les sujets, les ministres n’auront plus aucune grâce à vous refuser. Nous ferons un petit mémorandum de la chose que chacun de nous désire le plus obtenir pour sa famille (je parle de choses faisables). Quand chacun de nous aura obtenu de la peur des ministres une grâce à peu près de la même valeur, nous passerons à une seconde liste. Que dites-vous, messieurs, de ce plan de campagne législative ?

M. Leuwen avait choisi les vingt députés les plus dénués d’amis et de relations, les plus étonnés du séjour de Paris, les plus lourds de génie, pour leur expliquer cette théorie et pour les inviter à dîner. Ils étaient presque tous du Midi, Auvergnats ou gens habitant sur la ligne de Perpignan à Bordeaux. Il n’y avait d’exception que pour M. N…, de Nancy, que son fils lui avait présenté. La grande affaire de M. Leuwen était de ne pas