Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/242

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gestes et ses mines cet étonnant morceau d’égotisme :

« J’entends qu’on m’attaque sur mes façons de dire ma pensée, de gesticuler, de monter à cette tribune. Tout cela est de mauvaise guerre. Oui, messieurs, j’ai vu Paris pour la première fois à l’âge de cinquante-deux ans. Mais où avais-je passé ces cinquante-deux ans ? Dans le fond d’un château, en province, flatté par mes laquais, par mon notaire, et donnant à dîner au curé du lieu ? Non, messieurs, j’ai passé ces longues années à connaître les hommes de tous les rangs et à secourir le pauvre. Né avec quelques mille francs, je les ai sacrifiés hardiment pour faire mon éducation.

« En quittant l’université à vingt-deux ans, j’étais docteur, mais je n’avais pas cinq cents francs de capital. Aujourd’hui, je suis riche, mais j’ai disputé cette fortune à des rivaux pleins de mérite et d’activité. J’ai gagné cette fortune, messieurs, non pas en me donnant la peine de naître, comme mes jolis adversaires, mais à force de visites, payées trente sous d’abord, puis trois francs, puis dix francs, et, je l’avoue à ma honte, je n’ai pas eu le temps d’apprendre à danser. Maintenant, que messieurs les orateurs beaux danseurs attaquent le manque