Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/244

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pitoyable. Sa profonde science médicale s’était mise au service d’une lâcheté rare en France, son imagination lui représentait les suites chirurgicalement tragiques d’un coup de poing ou d’un coup de pied au cul bien assenés. Or, c’est précisément le traitement qu’il redoutait de la part de Lucien. C’est pour cela que, depuis dix jours qu’il était à Paris, il n’avait pas osé venir le chercher. C’est pour cela qu’il se présentait à lui plutôt dans son bureau, dans une sorte de lieu public, et où il était entouré de garçons de bureau et d’huissiers, que chez lui. L’avant-veille, il avait cru apercevoir Lucien dans une rue et avait à l’instant rebroussé chemin et pris une rue transversale.

« Enfin, lui avait suggéré son esprit, il vaut mieux, si un malheur doit arriver (il entendait un soufflet ou un coup de pied), qu’il arrive sans témoins et dans une chambre, qu’au milieu de la rue. Je ne puis, étant à Paris, ne pas le rencontrer tôt ou tard. »

Pour tout dire, malgré son avarice et la peur qu’il avait des armes à feu, le malin Du Poirier avait acheté une paire de pistolets, qu’il avait actuellement dans ses poches.

« Il est fort possible, se disait-il, qu’à l’époque des élections, où tant de haines