Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/26

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lieutenant de grenadiers, décoré, venait de dire qu’un des commis de Béranville était abonné au National, ce qu’il n’eût certes osé faire si son patron avait eu toute l’horreur convenable pour cette rapsodie républicaine et désorganisatrice[1].

Chaque mot diminuait sensiblement, aux yeux de Lucien, la beauté de madame Grandet. Pour comble de misère, elle se mêlait fort à cette discussion, qui n’eût pas déparé la loge d’un portier. Elle voulait que l’épicier fût menacé indirectement de destitution par le tambour de la compagnie de grenadiers, qu’elle connaissait fort.

« Au lieu de jouir de leur position, ces gens-ci s’amusent à avoir peur, comme mes amis les gentilshommes de Nancy, et par-dessus le marché ils me font mal au cœur. »

Lucien était à mille lieues du sourire de jeunesse avec lequel il était entré dans ce salon magnifique, qui se changeait à ses yeux en sale loge de portier.

« Sans doute la conversation de mes demoiselles de l’Opéra est moins ignoble que ceci. Quelle drôle d’époque ! Ces Français si braves, dès qu’ils sont riches s’occupent à avoir peur. Mais peut-être

  1. Doute : si je détaille ces choses, je distrais l’attention, tout simplement.