sinon comme un crime, du moins comme un manquement de cœur. Lucien se disait, quand les affaires dont il était accablé lui permettaient de réfléchir un peu :
« Quelle reconnaissance ne dois-je pas à mon père ? Je suis le motif de presque toutes ses actions ; il est vrai qu’il veut conduire ma vie à sa manière. Mais au lieu d’ordonner, il me persuade. Combien ne dois-je pas être attentif sur moi ! »
Il avait une honte intime et profonde à s’avouer, mais enfin il fallait bien qu’il s’avouât, qu’il manquait de tendresse pour son père. C’était un tourment pour lui, et un malheur presque plus âpre que ce qu’il appelait, dans ses jours de noir, avoir été trahi par madame de Chasteller.
Le véritable caractère de Lucien ne paraissait point encore. Cela est drôle à vingt-quatre ans. Sous un extérieur qui avait quelque chose de singulier et de parfaitement noble, ce caractère était naturellement gai et insouciant. Tel il avait été pendant deux ans après avoir été chassé de l’École, mais cette gaieté souffrait actuellement une éclipse totale depuis l’aventure de Nancy. Son esprit admirait la vivacité et les grâces de mademoiselle Raimonde, mais il ne pensait à elle que lorsqu’il voulait tuer la partie la plus noble de son âme.