Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/294

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du tapissier. La délicatesse de ces artisans ne lui faisait voir que plus clairement les traits moins délicats du caractère de madame Grandet. Il était poursuivi par une image funeste qu’il faisait de vains efforts pour éloigner : la femme d’un marchand mercier qui vient de gagner le gros lot à une de ces loteries de Vienne que les banquiers de Francfort se donnent tant de peine pour faire connaître.

Madame Grandet n’était point ce qu’on appelle une sotte, et s’apercevait fort bien de ce peu de succès.

— Vous prétendez avoir pour moi un sentiment invincible, lui dit-elle un jour avec humeur, et vous n’avez pas même ce plaisir à voir les gens qui précède l’amitié !

« Grand Dieu ! Quelle vérité funeste ! se dit Lucien. Est-ce qu’elle va avoir de l’esprit à mes dépens ? »

Il se hâta de répondre :

— Je suis d’un caractère timide, enclin à la mélancolie et ce malheur est aggravé par celui d’aimer profondément une femme parfaite et qui ne sent rien pour moi.

Jamais il n’avait eu plus grand tort de faire de telles plaintes : c’était désormais madame Grandet qui faisait pour ainsi dire la cour à Lucien. Celui-ci semblait profiter de cette position, mais il y avait