Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/320

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se donner un ridicule, car elle ne mit jamais en question l’amour de Lucien[1]. Elle ne connaissait de l’amour que les mauvaises copies chargées que l’on voit ordinairement dans le monde, elle n’avait pas les yeux qu’il faut pour le voir là où il est et se cache. La grande question à laquelle madame Grandet revenait sans cesse était celle-ci :

« M. Leuwen a-t-il le pouvoir de faire un ministre ? C’est sans doute un orateur fort à la mode ; malgré sa voix presque imperceptible, c’est le seul homme que la Chambre écoute, on ne peut le nier. On dit que le roi le reçoit en secret. Il est au mieux avec le maréchal N…, ministre de la Guerre. La réunion de toutes ces circonstances constitue sans doute une position brillante, mais de là à porter le roi, cet homme si fin et si habile à tromper, à confier un ministère à M. Grandet, la distance est incommensurable ! » Et madame Grandet soupirait profondément.

Tourmentée par cette incertitude qui peu à peu [en deux jours de temps] minait tout son bonheur, madame Grandet prit son parti avec fermeté et demanda hardiment un rendez-vous à M. Leuwen : [« Il ne faut pas le traiter en homme, »] et elle

  1. Pour le comique, examiner si Mme  Grandet doit croire si fermement que Lucien l’aime.