Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/328

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an ou dix-huit mois vous ne présentez rien de neuf à admirer à ce public qui vous rend justice en ce moment et vous place dans une situation si élevée, vous serez en péril ; la moindre vétille, une voiture de mauvais goût, une maladie, un rien, malgré votre âge si jeune vous placeront au rang des mérites historiques.

— Il y a longtemps que je connais cette grande vérité, dit madame Grandet avec l’accent d’humeur d’une reine à laquelle on rappelle mal à propos une défaite de ses armées, il y a longtemps que je connais cette grande vérité : la vogue est un feu qui s’éteint s’il ne s’augmente.

— Il y a une vérité secondaire non moins frappante, d’une application non moins fréquente, c’est qu’un malade qui se fâche contre son médecin, un plaideur qui se fâche contre son avocat, au lieu de réserver son énergie à combattre ses adversaires, n’est pas à la veille de changer sa position en bien.

M. Leuwen se leva.

— Ma chère belle, les moments sont précieux. Voulez-vous me traiter comme un de vos adorateurs et chercher à me faire perdre la tête ? Je vous dirai que je n’ai plus de tête à perdre, et je vais chercher fortune ailleurs.