Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/36

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— Je me suis vendu corps et âme à Votre Excellence pour les matinées, mais il est onze heures du soir et, parbleu, mes soirées sont à moi. Et que m’en donnerez-vous si je les vends ? dit Lucien gaiement encore.

— Je vous ferai lieutenant, de sous-lieutenant que vous êtes.

— Hélas ! cette monnaie est fort belle, mais par malheur je ne sais qu’en faire.

— Il viendra un moment où vous en sentirez tout le prix. Mais nous n’avons pas le temps de faire de la philosophie. Pouvez-vous fermer cette loge ?

— Rien n’est plus facile, dit Lucien en poussant le verrou.

Pendant ce temps, le ministre regardait si l’on pouvait entendre des loges voisines. Il n’y avait personne. Son Excellence se cacha soigneusement derrière la colonne.

— Par votre mérite vous vous êtes fait mon premier aide de camp, dit-il d’un air grave. Votre place n’était rien, et je vous y avais appelé pour faire la conquête de monsieur votre père. Vous avez créé la place, elle n’est point sans importance, et je viens de parler de vous au roi.

Le ministre s’arrêta, s’attendant à un grand effet ; il regarda attentivement Lucien, et ne vit qu’une attention triste.

« Malheureuse monarchie ! pensa le