Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/383

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encre. » Un peu calmée par cette idée de vengeance, elle s’endormit enfin en arrangeant les phrases de son billet de réponse.

Dès huit heures, madame Grandet sonna avec impatience, elle supposait qu’il était midi.

« Mes lettres, mes journaux ! » s’écria-t-elle avec humeur.

On sonna le portier, qui arriva n’ayant dans les mains que de sales enveloppes de journaux. Quel contraste avec le joli petit billet si élégant et si bien plié que son œil avide cherchait parmi ces journaux ! Lucien était remarquable pour l’art de plier ses billets, et c’était peut-être celui de ses talents élégants auquel madame Grandet avait été le plus sensible[1].

La matinée[2] s’écoula en projets d’oubli, et même de vengeance, mais elle n’en sembla pas moins interminable à madame Grandet. Au déjeuner, elle fut terrible pour ses gens et pour son mari. Comme elle le vit gai, elle lui raconta avec aigreur toute l’histoire de sa lourdise auprès du maréchal ministre de la Guerre. M. Leuwen ne la lui avait pourtant confiée que sous la promesse d’un secret éternel.

Une heure sonna, une heure et demie, deux heures. Le retour de ces sons, qui

  1. Modèle : Mme la duchesse de Massa et M. de Rigny.
  2. Scène où l’amour triomphe de l’orgueil.