Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/56

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huit jours et viendrai chercher l’insolent.

— Je vous conseille, dit froidement M. Coffe, de faire laver votre calèche à la première poste, de continuer comme si de rien n’était, et de ne dire jamais un mot de cette aventure à qui que ce soit car tout le monde rirait.

— Quoi ! dit Leuwen, vous voulez que je supporte toute ma vie cette idée d’avoir été insulté impunément ?

— Si vous avez la peau si tendre au mépris, pourquoi quitter Paris[1] ?

— Quel quart d’heure nous avons passé à la porte de cet hôtel ! Ce sera comme un fer rouge qui me brûlera toute ma vie.

— Ce qui rendait l’aventure piquante, dit M. Coffe, c’est qu’il n’y avait pas le moindre danger, et nous avions tout le loisir de goûter le mépris. La rue était pleine de boue, mais parfaitement pavée, pas une seule pierre de disponible. C’est la première fois que j’ai senti le mépris. Quand j’ai été arrêté pour Sainte-Pélagie, trois ou quatre personnes seulement s’en sont aperçues, comme je montais en fiacre, un peu aidé, et l’une a dit

  1. Lucien dit en se le reprochant : Je puis pas approcher une jeune femme sans un frémissement de plaisir et de timidité, et cela dure jusqu’à ce qu’elle ait sali son caractère par de l’affectation ou de la méchanceté.