Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/62

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cause le mépris de soi-même, faire son devoir et agir est en effet la seule ressource. Experto crede Roberto : je n’ai pas passé ma vie sur des roses. Si vous m’en croyez, vous secouerez les oreilles et tâcherez d’oublier l’algarade de Blois. Vous êtes bien loin encore du comble des malheurs : vous n’avez pas lieu de vous mépriser vous-même. Le juge le plus sévère ne pourrait voir que de l’imprudence dans votre fait. Vous avez jugé la vie d’un ministériel par ce qu’on voit à Paris, où ils ont le monopole de tous les agréments que peut donner la vie sociale. Ce n’est qu’en province que le ministériel voit le mépris que lui accorde si libéralement la grande majorité des Français. Vous n’avez pas la peau assez dure pour ne pas sentir le mépris public. Mais on s’y accoutume, on n’a qu’à mettre sa vanité ailleurs. Voyez M. de N…[1] On peut même observer à l’égard de cet homme célèbre que quand le mépris est devenu lieu commun, il n’y a plus que les sots qui l’expriment. Or, les sots, parmi nous, gâtent jusqu’au mépris.

— Voilà une drôle de consolation que vous me donnez là, dit Leuwen assez brusquement.

  1. Modèle : prince de Talleyrand.