Page:Stendhal - Lucien Leuwen, III, 1929, éd. Martineau.djvu/63

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— C’est, ce me semble, la seule dont vous soyez capable, il faut d’abord dire la vérité quand on entreprend la tâche ingrate de consoler un homme de courage. Je suis un chirurgien cruel en apparence, je sonde la plaie jusqu’au fond, mais je puis guérir. Vous souvient-il que le cardinal de Retz, qui avait le cœur si haut, l’homme de France auquel on a vu peut-être le plus de courage, un homme comparable aux anciens, ayant donné d’impatience un coup de pied au cul à son écuyer qui faisait quelque sottise pommée, fut accablé de coups de canne et rossé d’importance par cet homme, qui se trouva beaucoup plus fort que lui[1] ? Eh bien ! cela est plus piquant que de recevoir de la boue d’une populace qui vous croit l’auteur de l’abominable pamphlet que vous portez en Normandie. À le bien prendre, c’est à l’insolence si provocante de ce fat de Torpet qu’on a jeté de la boue. Si vous étiez Anglais, cet accident vous eût trouvé presque insensible. Lord Wellington l’a éprouvé trois ou quatre fois en sa vie.

— Ah ! les Anglais ne sont pas des juges fins et délicats en fait d’honneur, comme les Français. L’ouvrier anglais

  1. Il n’y a pas ici de scènes, il n’y a pas de dialogues amenant changements de positions. Lucien est comme un clou exposé aux coups de marteau du sort.