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MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

annales, réservations, provisions, exemptions, expectatives, tous payés par les royaumes chrétiens. Au moyen de la daterie, ce pape laissa un trésor de huit millions de florins d’or (deux cent millions de 1857) et un mobilier estimé sept millions de florins. J’ai vu avec plaisir que le tombeau de cet homme d’esprit a été épargné par la révolution.

Les hommes adroits et puissants qui composaient la cour d’Avignon n’avaient aucun besoin de gêner ou de dissimuler leurs passions : car dans ce siècle-là, on avait des passions. Ce qui, à mes yeux, est une grande justification pour les cruautés et les injustices.

De plus, on était bien loin encore des temps de Luther et de Voltaire[1].

Je me suis rappelé ces lettres latines de Pétrarque où il parle à cœur ouvert de ce qui se passait dans le palais d’Avignon aux temps brillants de cette cour. Rien de plus curieux ; mais le latin est obscur. Il faut convenir qu’il s’agit d’actions fort différentes de celles qui occupaient Rome du temps de Cicéron, dont Pétrarque copie le style tant qu’il peut[2].

Nous voyons dans ces lettres un homme d’esprit fort âgé et revêtu d’une éminente dignité, qui, pour achever de séduire une jeune fille de quatorze ans, se met sur la tête une barrette rouge. Malheureusement, rien n’est moins clair et précis que la langue latine, à quoi j’entends les savants répondre que je suis un ignorant. Peut-être avons-nous raison des deux côtés ; mais j’ai un avantage, je ne suis pas payé pour avoir les opinions que j’écris.

Pétrarque s’indigne beaucoup en latin ; mais de quoi s’indigne-t-il ? Rien n’est plus clair, au contraire, que les admirables contes un peu lestes, intitulés Il Pecorone, presque con-

  1. Voir de Potter, Histoire du Christianisme, le seul livre de nos jours qui, traitant un sujet si délicat, ose n’être point à la mode ; c’est un trésor de vérités mal en ordre. Voir aussi Muratori, qui souvent a peur.
  2. Levati, Voyages de Pétrarque. Milan, 1818.