Page:Stendhal - Mémoires d’un Touriste, I, Lévy, 1854.djvu/218

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temporains de Pétrarque. La langue italienne a toujours marché vers le plat et le commun depuis cette époque d’énergie ; elle a imité Cicéron, être fort plat. Le bel italien d’aujourd’hui, c’est le style de M. Lémontey, comparé à celui des Mémoires d’Aubigné ou de Saint-Simon. Les pensées sont plus élégantes, plus variées, plus savamment enchaînées sans doute ; mais aucune pensée n’est rendue avec la même force ; mais l’on voit un auteur qui tremble pour les hardiesses de son style et qui oublie de penser ; mais le serpent de l’ennui est caché sous ces fleurs[1].

La vue qu’on a du haut du rocher des Dons est l’une des plus belles vues de France : à l’est, on découvre les Alpes de la Provence et du Dauphiné, et le mont Ventoux ; à l’ouest, on suit une grande partie du bassin du Rhône. Je trouve que le cours de ce fleuve donne l’idée de la puissance ; son lit est parsemé d’îles couvertes de saules : cette verdure n’est pas bien noble, mais, au milieu de ce pays sec et pierreux, elle réjouit les yeux.

Au delà du Rhône et des ruines du fameux pont d’Avignon dont il emporta la moitié en 1669, s’élève un coteau, que couronnent Villeneuve et la forteresse de Saint-André ; leurs murs sont entourés de bois et de vignobles. Le Comtat est couvert d’oliviers, de saules et de mûriers tellement serrés, qu’en certaines parties ils font forêt ; au travers de ces arbres on entrevoit de loin les jolis remparts de Carpentras.

Un homme de l’âge du siècle ne peut nommer sans sourire le pont d’Avignon ; c’est le gai souvenir du Sourd ou l’Auberge pleine. Ce pont, bâti en 1180, avait vingt-deux arches, dont il ne reste que quatre qui tiennent à la rive gauche. Je suis allé voir la petite chapelle de Saint-Benezet sur le pont, on y remarque le chapiteau d’un pilastre corinthien. Est-ce une copie ?

La vue des îles que le Rhône forme dans le voisinage n’est pas mal. À vrai dire, j’ai jugé que toutes ces vues étaient agréables,

  1. Le français académique fait un grand pas vers les abstractions au nominatif ; ainsi périt la langue latine. Voir la savante histoire de J.-J. Ampère, ou lire Ausone et Salvien.