Aller au contenu

Page:Stendhal - Mémoires d’un Touriste, I, Lévy, 1854.djvu/29

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
25
MÉMOIRES D’UN TOURISTE.

Puisque je ne peux entrer au château, je demande des chevaux de poste. J’aurais voulu voir certaines peintures du Primatice qu’on dit fort bien restaurées ; c’est un grand mot. Comment notre goût empesé et maniéré aurait-il pu continuer la simplicité du bon Italien ? D’ailleurs nos peintres ne savent pas faire des figures de femmes. Probablement je n’ai perdu que des haussements d’épaules.

C’est dans le petit pamphlet à la Voltaire, c’est dans les articles du Charivari, quand les auteurs sont en verve, que nous sommes inarrivables. Par exemple, la visite du roi de Naples à la Bibliothèque royale (en 1836, je crois) : Ze voudrais bien m’en aller.

Tous les gens d’esprit d’Allemagne, d’Angleterre et même d’Italie se cotiseraient ensemble, qu’ils ne pourraient faire de tels articles. Mais restaurer une fresque du Primatice ! c’est autre chose. Nous serions battus même par l’Allemagne.

Le château de Fontainebleau est extrêmement mal situé, dans un fond. Il ressemble à un dictionnaire d’architecture ; il y a de tout, mais rien n’est touchant. Les rochers de Fontainebleau sont ridicules ; ils n’ont pour eux que les exagérations qui les ont mis à la mode. Le Parisien qui n’a rien vu se figure, dans son étonnement, qu’une montagne de deux cents pieds de haut fait partie de la grande chaîne des Alpes. Le sol de la forêt est donc fort insignifiant ; mais, dans les lieux où les arbres ont quatre-vingts pieds de haut, elle est touchante et fort belle. Cette forêt a vingt-deux lieues de long et dix-huit de large. Napoléon y avait fait pratiquer trois cents lieues de routes sur lesquelles on pouvait galoper. Il croyait que les Français aimaient les rois chasseurs. Il y a deux anecdotes sur Fontainebleau, le récit de la mort de Monaldeschi par le père Lebel, qui le confessa[1], et la grossesse de l’abbesse du monastère de la Joie, racontée au petit coucher de Louis XIV par le duc d’A***, son père, qui ne se rappelait plus le nom du couvent dont sa fille était abbesse[2].

  1. Recueil de Pièces, par Laplace, tome IV, p. 319.
  2. Mémoires de Saint-Simon.