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ŒUVRES DE STENDHAL.


Cela est admirablement vrai en France ; elles aiment le courage avantageux, imprudent, pas du tout le courage tranquille et magnanime de Turenne ou du maréchal Davoust. Tout ce qui est profond n’est ni compris ni admiré en France : Napoléon le savait bien ; de là ses affectations, ses airs de comédie qui l’eussent perdu auprès d’un public italien.

À Fontainebleau, dîné fort bien à l’hôtel de la ville de Lyon. C’est un hôtel Snog (tranquille, silencieux, à figures prévenantes), comme Box-Hill, près de Londres.

Je vais au château au bout de la rue Royale, je le trouve fermé. Rien de plus simple, on s’occupe des préparatifs de la noce. Mais autrefois j’ai fait l’inventaire de Fontainebleau ; un employé de ce temps-là me permet de jeter un coup d’œil d’ami sur la cour du Cheval-Blanc, qui doit ce nom à un modèle en plâtre du cheval de Marc-Aurèle, au Capitole, que Catherine de Médicis y avait fait placer. Une princesse italienne a toujours un fonds d’amour pour les beaux-arts. Ce modèle ne fut enlevé qu’en 1626. C’est un Italien, Sébastien Serlio de Bologne, qui dessina et bâtit cette cour en 1529.

J’y vois, des yeux de l’âme, un groupe en bronze placé là en 1880 : c’est Napoléon qui fait ses adieux à l’armée en embrassant un vieux soldat.

Je rencontre des hussards du quatrième régiment, le régiment modèle. Les hussards sont très-fiers, parce qu’ils sont les seuls en France qui, avec le dolman rouge, puissent porter le pantalon bleu de ciel. Honneur aux chefs qui savent donner une valeur infinie à ces petites choses ! Je vois ferrer un cheval fougueux ; un hussard le fascine par le regard et le contient immobile. Un hussard selle son cheval, s’habille et fait feu en deux minutes.

On parle beaucoup d’un des plus grands personnages du régime actuel, qui répondait hier à un de ses clients qui le sollicitait :

— De grâce ! mon cher, pour le moment, ne me parlez de rien. Cette expédition de Constantine est pour moi comme l’épée d’Horatius Coclès suspendue sur ma tête.