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Page:Stendhal - Mémoires d’un Touriste, I, Lévy, 1854.djvu/305

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MÉMOIRES D’UN TOURISTE

alors le lieu de refuge contre le pouvoir absolu du roi de France.

« Mademoiselle de Retz avait les plus beaux yeux, du monde, dit le cardinal[1] ; mais ils n’étaient jamais si beaux que quand ils mouraient, et je n’en ai jamais vu à qui la langueur donnât tant de grâces. Un jour que nous dînions ensemble chez une dame du pays, en se regardant dans un miroir qui était dans la ruelle, elle montra tout ce que la morbidezza des Italiennes a de plus tendre, de plus animé et de plus touchant. Mais par malheur elle ne prit pas garde que Palluau, qui a été depuis le maréchal de Clérambault, était au point de vue du miroir, » etc.

Ce regard si tendre observé par un homme d’esprit donna des soupçons si décisifs, car ce regard ne pouvait pas être un original, que le père du futur cardinal se hâta de l’enlever et le ramena à Paris.

J’ai passé deux heures sur cette colline. Il y a là plusieurs rangs d’arbres et des statues au-dessous de la critique. Dans le bas, vers la Loire, j’ai remarqué deux ou trois maisons qu’une ville aussi riche et aussi belle que Nantes n’aurait pas dû laisser bâtir. Mais les échevins qui administrent nos villes ne sont pas forts pour le beau ; voyez ce qu’ils laissent faire sur le boulevard à Paris ! En Allemagne, les plus petites villes présentent des aspects charmants ; elles sont ornées de façon à faire envie au meilleur architecte, et cela sans murs, sans constructions, sans dépenses extraordinaires, uniquement avec du soleil et des arbres : c’est que les Allemands ont de l’âme. Leur peinture par M. Cornélius n’est pas bonne, mais ils la sentent avec enthousiasme ; pour nous, nous tâchons de comprendre la nôtre à grand renfort d’esprit.

Les arbres de la promenade de Nantes sont chétifs ; on voit que la terre ne vaut rien. Je vais écrire une idée qui ferait une belle horreur aux échevins de Nantes, si jamais elle passait sous

  1. Page 17, édition Michaud, 1837.