Page:Stendhal - Mémoires d’un Touriste, I, Lévy, 1854.djvu/306

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leurs yeux. Ouvrir de grandes tranchées de dix pieds de profondeur dans les contre-allées de leur promenade, et les remplir avec d’excellent terreau noir que l’on irait chercher sur les bords de la Loire.

Le long de cette promenade, au levant, règne une file de maisons qui pourraient bien être tout à fait à la mode pour l’aristocratie du pays : elles réunissent les deux grandes conditions, elles sont nobles et tristes. Elles ont d’ailleurs le meilleur air dans le sens physique du mot. J’ai suivi l’allée d’arbres jusqu’à l’extrémité opposée à la Loire, je suis arrivé à une petite rivière large comme la main, sur laquelle il y avait un bateau à vapeur en fonctions. On m’a dit que celle rivière s’appelait l’Erdre : j’en suis ravi ; voilà une rime pour le mot perdre, que l’on nous disait au collège n’en point avoir.

En suivant jusqu’à la Loire les bords de cette rivière au nom dur, j’ai vu sur la gauche un grand bâtiment gallo-grec, d’une architecture nigaude comme l’École de médecine de Paris : c’est la préfecture. Sur l’Erdre, j’ai trouvé des écluses et des ponts. On remplace à force les mauvaises maisons en bois du seizième siècle par de forts beaux édifices en pierre et à trois étages. Il y a ici un autre ruisseau : la Sèvre-Nantaise.

Arrivé sur le quai de la Loire, d’ailleurs fort large et fort animé, j’ai trouvé pour tout ornement une seule file de vieux ormes de soixante pieds de haut plantés au bord de la rivière, vis-à-vis des maisons. Cela est du plus grand effet. La forme singulière de chaque arbre intéresse l’imagination, et plusieurs des maisons ont quelque style et surtout une bonne couleur.

J’ai vu arriver un joli bateau à vapeur ; il vient de Saint-Nazaire, c’est-à-dire de la mer, à huit lieues d’ici. Je compte bien en profiter un de ces jours.

Ce beau quai, si bien orné et à si peu de frais, est parcouru en tous sens par des gens affairés ; c’est toute l’activité d’une grande ville de commerce. Il y a deux omnibus : l’un blanc et