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Page:Stendhal - Mémoires d’un Touriste, I, Lévy, 1854.djvu/48

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ŒUVRES DE STENDHAL.

par plusieurs signes de tête réitérés, indique qu’il approuve tout.

L’acte fini, les notaires se lèvent pour s’en aller ; le mouchoir du notaire Blanc était tombé à terre lors de l’irruption du chien. Il se baisse pour le reprendre, mais, en faisant ce mouvement, il voit fort distinctement sous le lit deux jambes d’homme sans souliers. Il est fort étonné. Il sort pourtant avec son collègue ; mais, arrivé au bas de l’escalier, il lui conte ce qu’il a vu. Grand embarras de ces pauvres gens. La fille du malade, de chez laquelle ils sortent, est une maîtresse femme, fort considérée dans la ville. Il faudrait remonter ; mais comment articuler le pourquoi de cette rentrée ?

— Mais, cher collègue, disait le second notaire à M. Blanc, quel rapport ces jambes de paysan ont-elles avec notre acte en bonne forme ?

Les notaires étaient honnêtes gens sans doute, mais ils avaient une peur horrible d’offenser la fille du moribond, nièce du curé et présidente de deux ou trois sociétés de bonnes œuvres.

Après un colloque rempli d’angoisses, ils se résolvent cependant à remonter. On les reçoit avec un étonnement marqué, qui augmente leur embarras. Ils ne savent trop comment expliquer leur retour, et enfin le second notaire demande des nouvelles du malade. On conduit ces messieurs à la porte de la chambre. On leur fait voir les rideaux fermés. Le malade s’est trouvé fatigué après avoir fait son testament. On leur donne beaucoup de détails sur les symptômes du mal depuis le milieu de la nuit qu’il a redoublé, et, ce disant, on les reconduit doucement vers la porte. Les pauvres notaires, ne trouvant rien à dire, descendent une seconde fois.

Mais à peine sont-ils à cent pas de la maison, que M. Blanc dit à son collègue : — Nous sommes tombés là dans une bien fâcheuse affaire ; mais si nous ne prenons pas un parti, nous nous ferons des reproches pendant le reste de nos jours, il s’agit ici d’un capital de plus de quatre-vingt mille francs, dont le fils absent est dépouillé.